Inventaire général des monuments
et des richesses artistiques
de la France
L'Inventaire est une recherche de terrain qui observe, analyse et décrit les œuvres « in situ » en s'appuyant
sur les sources d'archives et la bibliographie disponible.
Le champ d'investigation est vaste et embrasse l'ensemble des biens créés de main d'homme sur la totalité
du territoire national : architecture et urbanisme, objets et mobilier, qu'ils soient publics ou privés, sur une
période allant du 5e siècle à 30 ans avant la date de l'enquête.
Le Service de l’Inventaire du Patrimoine culturel et sa documentation
Créé pour recenser les édifices anciens et œuvres d’art de la région, le Service de l’Inventaire d’Alsace se
compose d’une équipe pluridisciplinaire qui rassemble et met en forme une documentation selon une méthode scientifique et des normes nationales. Après plusieurs décennies, les « archives artistiques de la France »,
qu’André Malraux appelait de ses vœux, sont devenues une réalité. Elle va largement au-delà de ce qui
avait été envisagé à l’origine, au point de vue de la période chronologique couverte et des thèmes abordés.
Il convenait de faire le point sur les richesses documentaires accumulées. Notre but sera de présenter ce
service et les données que renferment des dossiers élaborés en quarante ans d’activité.
Le souci de répertorier les témoins matériels du passé est ancien.
Dès les XVIIe et XVIIIe siècles, l’étude des édifices et œuvres de l’époque médiévale avait été entreprise par des érudits comme Roger de Gaignières ou Montfaucon. À la même époque, recenser les vestiges antiques ou les édifices médiévaux de l’Alsace et les publier fut jugé nécessaire notamment par Jean-Daniel Schoepflin et Jean André Silbermann.
En 1819-1824, alors qu’une enquête d’ensemble avait été lancée par l’Institut de France, le professeur de grec Jean Geoffroy Schweighaeuser s’attacha à parcourir le département du Bas-Rhin en recensant les vestiges antiques, les églises et châteaux du Moyen Âge ; son ami et disciple, le magistrat Philippe de Golbéry, suivit la même voie en ce qui concerne le Haut-Rhin. Schweighaeuser envoya plusieurs mémoires à l’Institut, puis publia en 1828 avec Golbéry, les Antiquités de l’Alsace, en deux volumes illustrés de lithographies, qui devint aussitôt un ouvrage de base.
Après la fondation de la Société pour la conservation des
monuments historiques d’Alsace en 1855,
Straub, Guerber et d’autres publièrent des enquêtes par cantons. Mais ce fut Franz Xaver Kraus,
alors professeur à l’Université de Strasbourg, qui, le premier, fit paraître en quatre volumes, à l’initiative
du Reichsland Elsass-Lothringen, un inventaire artistique couvrant toute l’Alsace et la Lorraine annexée.
Georg Dehio proposa en 1911 le modèle d’un inventaire court; le fait qu’il fut réédité plusieurs fois
démontre son utilité. À Strasbourg, le centre de documentation fondé en 1901 par Félix Wolff à l’instar
des archives des monuments historiques à Paris, sous le nom de Denkmalarchiv, se voulait une
préparation à un inventaire; ce dernier fut effectivement commencé en 1912 par Hugo Rahtgens, mais
ne se prolongea pas au-delà d’un canton, celui de Bouxwiller. Le Handbuch de Walter Hotz (1965)
correspond à une mise à jour très amplifiée de « l’inventaire court » de Dehio, accompagnée de
planches.
Malraux et l’Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France
Projet en maturation depuis 1962, l’Inventaire général fut créé par décret du 4 mars 1964 par André Malraux, ministre d’État chargé de la Culture, sur la proposition de deux universitaires de renom, André Chastel et Louis Grodecki.
Comme l’indique la plaquette de présentation, parue la même année, l’inventaire « consistera… à recenser, à étudier et à faire connaître toute œuvre qui, du fait de son caractère artistique, historique ou archéologique, constitue un élément du patrimoine national ».
Une « Commission nationale chargée de préparer l’établissement de l’inventaire », présidée par Julien Cain, fut réunie ; elle était assistée d’un Secrétariat Général, qui
constitua la partie administrative de l’entreprise au sein du ministère de la Culture. Cette structure fut
conçue comme autonome par rapport au Service des monuments historiques.
Photographier le patrimoine,
La photographie, importante dans un tel recensement, se caractérise par un style spécifiquement documentaire : éviter si possible les déformations dues à la perspective et obtenir la netteté de tous les
détails par l’emploi de la chambre grand format, choix de vues souvent frontales, éclairage neutre sans forts contrastes, refus du pittoresque au profit du caractère informatif, absence de personnages sur les vues de bâtiments.
Après la création des structures de départ, Malraux n’accorda plus guère d’attention à l’Inventaire général et à ses résultats ; ceux-ci étaient sans rapport avec les œuvres qui l’intéressaient dans ses écrits. En revanche, André Chastel continua à suivre et à stimuler les progrès de l’entreprise qu’il avait contribué à lancer.
Le développement de l’Inventaire en Alsace
L’Alsace et la Bretagne furent les premières régions où l’inventaire ait démarré. Plusieurs raisons justifiaient ce choix : existence d’un enseignement en histoire de l’art et d’une
tradition de la recherche archéologique, densité des sociétés d’histoire, large intérêt pour le patrimoine,
présence de personnalités susceptibles de soutenir le projet.
En mars 1964 fut créée une Commission régionale sous la présidence du préfet,; suivit la création, en 1965, des deux Comités départementaux. La Commission régionale et les Comités départementaux
avaient pour rôle de fédérer les efforts des spécialistes locaux et régionaux (enseignants, archivistes, conservateurs de musées, historiens…), ainsi que toutes les bonnes volontés, en vue d’un travail qui, par son amplitude, allait au-delà de ce qu’un chercheur isolé pourrait faire.
Le Secrétariat (futur Service de l’Inventaire) eut ses locaux à Strasbourg, au Palais du Rhin, où se trouvaient déjà les bureaux du Service des Monuments historiques. Le nouvel organisme dépendait directement du Secrétariat Général de l’Inventaire à Paris. Dès l’origine, les Conseils généraux des deux départements attribuèrent des fonds de concours aux opérations d’inventaire. Ultérieurement, l’appui financier des deux Départements et de la Région se fit par le biais de l’Association pour le Développement de l’Inventaire des Monuments et Richesses artistiques de l’Alsace, créée en 1979.
En juillet 1983, l’organisation de l’Inventaire général fut entièrement modifiée. En conséquence des lois de décentralisation, les commissions régionales de l’Inventaire et comités départementaux furent supprimés. Au Palais du Rhin, ce qui avait été le Secrétariat de la Commission régionale devint le Service régional de l’Inventaire, dirigé par un Conservateur régional .
Les méthodes d’enquête et la couverture du territoire alsacien
L’objet de l’inventaire se construisit au fur et à mesure qu’avançaient les enquêtes sur le terrain.
Celles-ci reposent sur des choix qui évoluèrent dans le temps. L’Alsace eut un rôle de pionnier dans la
mise au point des méthodes d’investigation.
Dès 1964, un essai d’inventaire porta sur le quartier Saint-Thomas à Strasbourg. Le Comité départemental du Haut-Rhin choisit en mars 1965 de concentrer les efforts sur le canton de Guebwiller ; l’étude des communes de Guebwiller, Buhl, Murbach, Lautenbach et Orschwihr fut commencée durant l’été. À partir de l’année suivante, la Commission régionale fit également entreprendre des campagnes de terrain dans le canton de Saverne. En 1966, Louis Grodecki se rendit sur place à Guebwiller, où les investigations se poursuivaient, pour guider et conseiller les enquêteurs ; à ce moment-là, tout restait à mettre au point : choix des édifices et des œuvres, contenu des futurs dossiers, type d’approche.
Elles furent réalisées selon les principes de l’inventaire fondamental. Les dossiers comprennent alors pour chaque édifice ou objet mobilier une étude dactylographiée, qui renvoie à la bibliographie et aux sources d’archives, avec reproduction exhaustive de la documentation graphique ancienne. Dès l’origine était prévue une sélection, relativement sévère, des édifices et œuvres à étudier ; ainsi, en ce qui concerne les maisons et fermes, les premières enquêtes aboutirent à ne retenir que quelques exemples, afin d’éviter la multiplication des dossiers d’édifices pour chaque commune
Durant la même période, des enquêtes de pré-inventaire furent conduites par quelques sociétés d’histoire et d’archéologie.
Des publications très détaillées purent voir le jour à partir des nombreux dossiers ; mais l’inventaire fondamental, dans les trois premiers cantons, avait pris près de quinze ans.
Une nouvelle méthode, l’inventaire topographique, fut mise en œuvre dans dix-huit cantons durant les années 1975 à 1993. Le but était de progresser plus rapidement, et de couvrir l’ensemble de l’Alsace dans un délai raisonnable, de manière à conserver, notamment par la photographie, une trace des bâtiments anciens (susceptibles d’être démolis ou altérés) et des objets (pour lesquels on ne pouvait exclure des dégradations, le vol ou la destruction).
La carte de référence était désormais constituée par le plan cadastral, sur la base duquel se fit le repérage de tous les édifices anciens de la commune, puis dans un second temps la sélection de ceux, particulièrement intéressants, retenus pour faire l’objet d’une étude. Dès lors apparut la distinction entre deux catégories :
Les éléments sélectionnés bénéficièrent d’une étude dactylographiée, avec historique, description, bibliographie, accompagnée de photographies, de relevés ou autres documents
graphiques. Les édifices repérés, à la base de cette vue d’ensemble, furent consignés dans un
tableau récapitulatif, avec leur adresse, les dates inscrites sur le bâtiment, et ses spécificités
les plus remarquables.
Dès le départ, l’inventaire général fut conçu en fonction d’une future exploitation automatique
des données, au moyen de la mécanographie (fiches perforées), puis de l’informatique naissante.
Ce parti pris, délibérément moderne, suscita d’ailleurs des résistances.
Les « fiches signalétiques » établies durant les opérations d’inventaire topographique furent
d’abord, vers 1980, saisies de façon centralisée, sous le contrôle direct du Ministère. La
publication sur l’ancien arrondissement d’Erstein eut lieu en 1984 à partir de ces fiches, gérées
par un centre de calcul au niveau national.
Le temps nécessaire pour les opérations d’inventaire topographique restait toutefois trop
important (au début des années quatre-vingt-dix, un tiers seulement du territoire alsacien
était couvert).
Désormais, les chercheurs prirent eux-mêmes des photos au cours de l’enquête, ce qui permit
de constituer une documentation plus complète et de gagner du temps lors de la mise en forme
des dossiers.
Selon cette méthode, suivie dans trente neuf cantons ruraux, tous les unica (église, chapelle,
mairie, école, gare, etc.) d’une commune furent étudiés, ainsi que tous les édifices et éléments
mobiliers antérieurs à 1800. Les bâtiments plus récents, notamment les fermes et les maisons,
devaient, pour être sélectionnés, répondre à deux critères parmi les cinq suivants : ancienneté
(avoir été construits avant 1850) ; porter une date, signature, indication héraldique ou le nom du
donateur ; posséder des éléments remarquables (formes décoratives, iconographie) ; manifester
une singularité typologique ou iconographique ; ou enfin faire partie d’un ensemble. Le repérage
sur le terrain est exhaustif pour la période jusqu’en 1940, très sélectif pour les décennies
postérieures. Les « cartes du patrimoine » localisent les édifices étudiés et repérés, sur la base
du plan cadastral de la commune.
La publication des résultats sur Internet
Les fiches par édifices et par objets que renferment les bases de données nationales du Ministère de la Culture (Mérimée, Palissy, qui sont communes aux Monuments historiques et à l’Inventaire), devinrent accessibles d’abord par le Minitel (vers 1995). Elles le sont désormais par Internet, qui est devenu un mode de publication à part entière, à destination des chercheurs mais aussi de personnes aux centres d’intérêts très divers.
Consultables par ce biais, les notices d’édifices et d’objets fournissent au lecteur, des informations historiques, des éléments de description, les dates figurant sur l’œuvre, autant que possible le nom de l’architecte ou de l’artiste qui en est l’auteur, une datation par le moyen de l’étude stylistique. Grâce à quoi, les chercheurs peuvent établir ou compléter des listes d’édifices ou d’œuvres intéressant leurs travaux, tandis que le public le plus large est à même de s’informer, par exemple, sur les maisons anciennes de tel ou tel village.
L’interrogation peut se faire par communes, par nom d’architectes ou d’artistes, par périodes, par types d’édifices ou d’objets, ou en combinant plusieurs critères.
En ce qui concerne les illustrations, il faut rappeler que la technique consistant à numériser les photographies est apparue assez tard. Cela
explique le peu d’homogénéité, à cet égard, des bases de données Mérimée et Palissy.