Paul Fassel
Souvenirs militaires
Incorporation
Le 13 juin 1917 nous avons été, nous, la classe 1899, à peine âgés de 18 ans et presque des enfants encore, enrôlés pour la guerre par les Allemands. Nous avons été accueillis par notre escorte à la gare de Strasbourg. A 10 heures du soir, nous sommes partis par Roeschwog, Lauterbourg pour Germersheim.
C'est là que nous avons eu notre premier repas de soldats du pain, de la saucisse et du thé. Ensuite, nous avons continué en Rhénanie. Nous avons franchi le Rhin à Worms et le Main à Frankfort. Repas de midi à Hannau : Potage aux pâtes et viande.
Puis nous sommes passés par le Schichterer Tunnel, 3575 m de long, par Fulda. Puis nous avons encore passé quelques tunnels plus courts, jusqu'à Eichenberg. De Nordhausen en Poméranie. La contrée était désolée, Sur des kilomètres, pas de ville, ça et là une ferme. Un pays plutôt vallonné, où l'on ne plantait que de l'avoine, du blé et des pommes-de-terre. Notre but était Neustettin, en Poméranie, une belle ville. Nous arrivâmes à la caserne, toute neuve, des chasseurs. Dans la cour de la caserne, on a procédé à notre répartition. Nous étions tous des Alsaciens. J'ai été affecté à la 1ere escouade de la 1ère compagnie, du 34ème régiment d'infanterie.
Initiation à la vie militaire
Et maintenant je veux parler de la vie de caserne.
Nous, les Alsaciens, on nous a dressés au point que nous rentrions parfois à la caserne,
baignés de sueur. Nous n'avons pas seulement bouffé les patates de Poméranie, mais
aussi son sable. Pour ce qui est de la nourriture : c'était la guerre. De l'orge, des légumes
secs étaient au menu. Nous avions souvent des pommes de terre en robe des champs,
que des petites, que nous avalions avec la peau, n'ayant pas le temps de les peler. En
supplément, 2 harengs, longs comme un doigt. Le samedi à midi, généralement nettoyage
de la chambrée, et après cela, un bon morceau de pain blanc avec du thé : ça, c'était bon.
Gare à nous si la chambrée n'était pas récurée à fond : autrement nous devions tous la
nettoyer avec la brosse à dents.
Au bout de 15 jours, j'ai pu écrire ma première lettre aux parents. Je l'ai envoyée en
recommandé, mais elle fut ouvert au poste de contrôle du courrier. J'avais écrit entre-autre:
nous sommes arrivés maintenant dans le pays où coulent le lait et le miel. Ici les moineaux
« crèvent » au milieu de la récolte. L'adjudant du bureau de contrôle a lu ma lettre. Il n'a
rien dit, mais m'a regardé longuement, d'une façon étrange. Je pensais, cette fois
t'es bon pour être coffré. Mais le chef de compagnie, assis à coté, n'avait rien remarqué,
et tout s'est bien passé. Chaque dimanche matin, nous devions nous présenter pour la
messe, cela faisait partie du service. Chacun devait être propre, au garde à vous. Je me suis parfois fait remarquer pour ma tenue, vu que je gardais toujours ma tête inclinée.
Nous avions souvent des exercices de nuit. Une fois, 2 compagnies jointes devaient
attaquer l'ennemi par des chemins détournés, c'étaient les 2 autres compagnies. Mais
nous n'avons pas pu nous joindre. Notre chef s'appelait lieutenant UMLAUF. Nous
cherchions vainement le contact, mais nous nous étions grandement égarés, et au lieu
d'arriver à la caserne la nuit à 11 heures, nous ne sommes rentrés qu'à 1 heure le
lendemain matin. Une autre fois, nous sommes rentrés tardivement également. Nous
étions fatigués et déjà au lit, et voilà encore un appel aux bottes. Dans une autre
compagnie, nous avions un adjudant rouge, qui faisait rassembler la troupe le matin.
Comme quelques uns étaient un peu nerveux, il disait : si vous n'arrivez pas à vous
tenir immobiles, je vais vous faire avaler de la flotte. Tous à plat ventre. Dans la cour,
il y avait de grosses flaques d'eau. Pas de pitié.
Nous étions en route, pour 8 jours à Gross-Born, où il y avait un grand terrain d'exercices
pour la troupe, pour le tir à balles réelles. Je me rappelle, que nous avons bivouaqué
en cours de route. Chacun a touché sa ration individuelle : des pâtes avec de la viande
en boîte. Ce qui fait que chacun devait faire sa propre cuisine. Je pris de l'eau, y mis les
nouilles, mais n'arrivai pas à les faire bouillir. Je les ai tout-de-même avalées, tièdes et
un peu ramollies. Cuisiner était quelque chose de nouveau pour moi. Comme je l'ai
constaté après, quelques-uns s'y prenaient bien mieux que moi. Pour varier, nous sommes
allés une fois en train, pour 3 jours, à Colberg. Ici, nous avons visité les positions modèles, tranchées et bunkers. Ici, j'ai eu la chance de tremper mes pieds dans la Mer du Nord,
le sable fin était blanc-jaune, c'était formidable. Comme nous étions agriculteurs et que
mon père avait souscrit à des emprunts de guerre, j'ai eu 15 jours de congé pour
moissons et encore 10 jours de congé supplémentaire.
Au dernier jour de congé, nous avons fait avec mon camarade HEYM, qui était soldat avec moi et marchait avec moi, un pèlerinage à Maria Neunkirch pour implorer la protection et la bénédiction la Sainte Mère de Dieu. A l'aller, nous avions un tel vent contraire, qu'on ne pouvait presque pas rouler en vélo. Retour le lendemain.
Beaucoup de camarades étaient détachés en commando agricole dans les environs, chez de gros-propriétaires et quelques uns étaient détachés pour extraire de la tourbe. Peu à peu, tous
sont revenus. Aussi, arrivèrent au bataillon des réclamations, comme quoi il n'a pas été
fourni assez de travail. Les camarades disaient en tous cas, qu'ils n'avaient pas eu
suffisamment à manger. Aussitôt rentrés, ils devaient rester avec nous, dans la cour de la
caserne, où le commandant du régiment, le colonel GLANDER fit rassembler le bataillon,
et le signala au doyen et commandant de la caserne, au Major von Joden. Ce dernier tint
alors un grand discours à cause des réclamations. Quelqu'un aurait même dit qu'il était
tellement faible, qu'il était incapable de cueillir un brin d'herbe.
C'était, naturellement, une injure faite à l'armée Allemande. Du coup, les innocents
devaient payer avec les autres. L'ordre vint de nous présenter en tenue de campagne.
Comme cela n'allait pas assez vite, les derniers étaient toujours notés. Retour,
rassemblement, tout le monde en treillis. Certains avaient 2 étages à monter pour gagner
leur chambrée, qui arrivaient toujours en retard et de nouveau, rassemblement en tenue
de campagne. Et ils manquait toujours quelques permissionnaires. Du coup, certains
portaient plusieurs pantalons l'un sur l'autre, il y en avait portant 3 paires à la fois. Ensuite,
c'était rassemblement des chefs d'escouade, et on prenait note dè celui qui n'était pas
en règle.
Tout le bataillon a dû passer par l'exercice disciplinaire dans le cour de la caserne. Celui
qui me précédait était un juif, du nom de LEVI, originaire de Wiewersheim. Il n'avait pas
attaché ses pantalons, aussi devait-il constamment les remonter, car, au cours de la marche,
ils n'arrêtaient pas de glisser vers le bas. Il est évident que je ne pouvais pas m'empêcher
de rire. Le chef d'escouade : « Ah, le FASSEL rigole encore » et me voilà pris en note.
J'ai donc eu droit à un exercice disciplinaire supplémentaire, mais pas LEVI.
Le 4 septembre 1917, j'ai eu le 8ème prix en nage libre.
De Neustettin à Vilna
Le 17 décembre, nous avons été embarqués de Neustettin pour Vilna, en Pologne.
Nous arrivâmes à Scheidenmül, où le transport a été établi. Comme j'avais faim, j'ai
acheté des galettes de pommes de terre.
Lorsqu'à la tombée de le nuit nous arrivâmes à Vilna, je me sentais mal. Les galettes
de pommes de terre me pesaient sur l'estomac, et j'avais de la fièvre. Durant une heure,
nous avons dû courir par la ville à travers la neige fondue pour rejoindre le campement.
Comme je ne pouvais pas tout mettre dans mon havresac, j'avais une boîte avec moi.
Cette boîte, de dimensions 50x40x20, je l'avais accrochée à une ficelle et je la traînais
par terre derrière moi comme un chien, dans l'impossibilité de la porter, tellement j'étais
mal en point. Et nous arrivâmes au campement de la Xème armée, Sème bataillon, 3ème compagnie, à l'extérieur de la ville. Dès le premier jour, je me suis fait remarquer, car
je n'étais pas rasé. Comme punition, je devais balayer la chambre.
Comme partout, de l'entraînement et des exercices de nuit, des cours, beaucoup de tir
à balles réelles et du lancer de grenades. Au cours d'un tir, j'ai fait tir au but, c'est à dire
que j'ai atteint un certain score. Ce qui fait que j'ai été admis au tir d'évaluation suivant.
Une toute grosse légume, un Lieutenant Général je crois, y assistait. Chacun devait tirer
3 balles. A mon tour : d'abord un 9, puis un 11, et la troisième mise dans le 2.
Le Lieutenant Général me fit ce compliment : vous aussi êtes un gars encore trop
incertain. Ainsi arriva Noël 1917 à Vilna. Nous avions un grand sapin, et sur la table, il y
avait des douceurs. Le commandant de la compagnie, le Lieutenant GRASSMANN tint
un discours. Il nous dit, entre autre, et en insistant : « je vous le dis, c'est le dernier
Noël que nous passons en guerre ». Ce qui nous donnait à tous de l'espoir et du courage.
Durant la période d'instruction, nous avions un supérieur, un Sergent nommé BLOCH, qui ne pouvait pas nous sentir, nous, les Alsaciens. Comme nous étions trop remuants, il nous dit une fois la chose suivante :
« Damnés têtes de Français, quand je sortirai avec vous, je vous abattrai tous avec mon revolver, l'un après l'autre, comme des chiens ».
Mais il n'est pas venu sur le champ de bataille avec nous.
Un matin, nous avions un exercice, assez loin, près d'un petit lac de 20-30 ares, fortement gelé. A travers la glace, transparente comme du cristal, on voyait l'eau à 3-7 m de profondeur. Tout à coup le chef de compagnie nous dit :
« Mettez les fusils en faisceaux, tombez les havresacs. Et maintenant allez sur la glace. Et vous pouvez faire des glissades à volonté, mais gare à celui à qui il arrive quelque chose, il sera puni. »
Et qui est tombé sur le menton en glissant ? Moi, bien sûr.
Personne ne l'a vu, mais je saignais abondamment. Au cours de l'exercice qui suivait, j'avais mon mouchoir en main. « Alors, qu'as-tu donc, FASSEL » me demanda, à part, le chef d'escouade. Je lui racontai comment cela était arrivé, et que j'avais peur de le signaler. Après cela, il m'emmena chez le commandant de la compagnie et lui expliqua la chose. Alors on me renvoya au quartier pour que je me fasse panser. Je retournai donc seul au quartier, où on me posa une mentonnière. Après cela, je suis monté dans la chambre et j'attendis.
La compagnie rentra au bout de 2 heures et on m'appela au secrétariat. Là, je reçus une réprimande, pour ne pas avoir signalé mon retour. On me ménagea pendant quelques
jours : je pus rester à la maison, et surtout, n'avais pas à participer aux exercices de nuit.
A VILNA on pouvait acheter de tout. Un jour, je me suis promené au marché. Là étaient
accrochés des saucisses, du lard et des jambons. Pour de l'argent. Quelques soldats
entouraient ainsi le stand d'un marchand. Tout à coup, l'un d'eux s'empara d'une saucisse
et s'enfuit avec. Le vendeur le vit, sonna l'alarme et voulut lui courir après. Les autres
soldats lui barrèrent le chemin, et il en fut pour ses frais. Après cela, les soldats
partagèrent entre eux la saucisse.
VILNA a beaucoup de belles églises, avec croix et poutres transversales. Une troupe
allemande présentait des pièces de théatre. J'y ai assiste deux fois. Une fois c'était la
pièce : « Les filles blondes du Lindenhof ».
Je ne vous ai pas encore raconté, comment VILNA était envahi par les puces et les poux.
Les couches consistaient en deux lis superposés, faits d'un assemblage de barres en
bois brut de 6x6. Ces lits grouillaient de puces et de poux, qui nous tourmentaient
toutes les nuits. Parfois donc, la nuit, nous partions à la chasse aux poux. Nous passions
les fentes à la flamme d'une bougie, et on entendait grésiller, comme si on rôtissait
de la viande. Il fallait toutefois faire attention, car les matelas étaient de paille.
Nous avons quitté VILNA le 26 avril 1918 pour aller vers l'Ouest. On nous a épouillés
et on nous a fourni du linge propre à Einkuhnen, à la frontière Allemagne-Pologne. Nous
devions enlever nos vêtements : ils étaient mis dans une grande étuve, où, au bout de
2-3 heures nous pouvions les remettre, propres, totalement débarrassés de la vermine.
Tout un bataillon pouvait, de cette façon, être épouillé en une journée.
Il arrivait aussi, qu'au cours d'exercices de nuit, où ne devions avoir que des munitions
à blanc, quelques balles furent tirées. Les officiers étaient présents, à cheval, il ne
s'agissait que d'une simulation de la bataille. Des balles bien réelles sifflaient aux
oreilles des officiers. A la suite de cela, on nous a immédiatement vérifié les
fusils. Si une cartouche à blanc était tirée tout de suite après, l'âme du fusil était de
nouveau noire.
Le 27 mai nous avons quitté BEVERLOO. Juste après DIENST nous avons eu un
accident ferroviaire. Nous avons foncé dans le flanc d'un train de marchandises.
1 mort et 13 blessés, parmi lesquels un Ersteinois. Nous avons dû faire marche
arrière et emprunter un autre itinéraire. Par MOLL, BRUS SEL, WALCOURT vers MARIENBURG,CHINAY et de nouveau MARIENBURG.
Comme nous les, Alsaciens, n'étions pas fiables sur le front, on nous a retirés du
transport. C'est ainsi que nous arrivâmes le 28 mai à une section de la compagnie de convalescence de la 231ème Inf. Div. Notre quartier était établi pour 4 semaines dans
une école. Notre commandant de compagnie était aussi un Alsacien. Nous n'étions
qu'une compagnie dans la localité. La population civile était présente. Ici, nous avons
passé les plus beaux jours. C'est une région montagneuse, où est extraite de l'ardoise.
La Meuse traverse la vallée. Nous aurions bien attendu la fin de la guerre en ce lieu.
C'est ici que j'ai fait connaissance de mon ami Eugène.MEYER de Strasbourg.
Sur le front
Dans cette partie, je veux vous parler de mon vécu sur le front de 1918, en m'aidant de
mon journal de guerre, un carnet où j'ai sommairement pris note de quelques
événements. Le 28 juin j'ai été versé au front et affecté au 442 ème Régiment des
Grenadiers de la Garde, 1er Bat. 3ème Comp. de la 231 Inf.Div. près de DU, puis
CHARLEVILLE et SEDAN sur la Meuse et LION près du GLEISBERG. Dans la nuit
du 1 au 2 juin, marche de 20 km pour ROMAGNE (Camp Robinet), puis, repos de
10 jours. Tous les jours nous voyions des avions et des ballons captifs. Un jour, j'en ai
compté 10. Ils étaient à environ 3 km l'un de l'autre, et observaient les routes.
Quelques uns ont aussi été incendiés. L'observateur sautait en parachute.
Le 10 juin, départ par le train menant au front pour les lignes avancées de
MONFONCON, puis une heure de marche à travers la forêt. J'ai été affecté à un groupe
de mitrailleuses, et devait, la nuit, de 11h du soir à 2 h du matin, occuper seul un poste
d'écoute et de signalisation en 2ème ligne. Toute la nuit, il y avait d'intenses tirs
d'artillerie, et des obus tombaient tout autour de moi. La relève m'a appris qu'entre
temps notre abri a eu un coup au but près de l'entrée. Dans la journée, toujours des
avions.
Le 1er août, après la relève du 30 juin, j'a été versé dans la compagnie auxiliaire de pionniers. Maintenant, le 9 août j'ai dû miner dans la position. Le 14 août, nouvelle relève pour ROBINETFERM où le bataillon avait organisé une fête. ( Le calme qui précède la tempête).
Le 16 août, départ de ROMAGNE vers DUN, SEDAN, POID, LAUNIS, RETHEL, NEUFLITZE, LAON, LE FERLE, pour CHAUNY où nous avons débarqué. A partir de là, 10 km à pied, NOYON, GOUGIS où on nous a cantonnés dans des maisons. Le 18 août, marche de 12 km de SALENCY en passant par NOYON, puis la nuit, par la forêt de CAMPANIE. Le 19, une marche de 10 km vers la Ferme du Sanglier. Lourd pilonnage d'artillerie. Un obus de 12 cm éclata à 3 m de nous.
Le matin du 21, on nous a envoyé des obus au gaz. Le 25, c'étaient des tracts lâchés
par avions. Une balle de shrappnell est tombée à coté de mes pieds. La retraite a
commencé le 27 août. Le 28, nous étions dans une grange puis en forêt. Là, nous
avons monté des tentes. Puis, alarme. Nous devions occuper le village.
Le jour, je devais transporter des munitions vers l'avant. C'était près du village de
CAPANE. Pour cela, nous devions parfois passer en rase-campagne. Les ballons
captifs voyaient tout cela, et du coup on nous tirait dessus.
Je me rappelle comme, de jour, 6 hommes et un guide, nous portions des munitions, des grenades à main, une caisse pour 2 hommes et comme dans un chemin creux nous sommes restés accrochés dans des barbelés. Tout à coup, on nous a tiré dessus, car les ballons nous voyaient. Nous avons eu de la chance, car les petits obus qui sont tombés tout près de nous, comme par miracle, n'ont pas éclaté.
Nous sommes restés durant 3 jours et 3 nuits au village de CAPANE et nous nous en
sommes sortis sans pertes, malgré l'intense pilonnage d'artillerie. J'ai eu de la chance,
car le 7 septembre j'ai pu quitter St-QUENTIN-WASSINY pour partir 14 jours en
permission.
La récolte des pommes die terre avait commencé. Mon père attrapa un tour de reins,
ce qui fait que j'ai demandé un prolongation de mon congé. N'ayant pas reçu de directives, je suis resté plus longtemps à la maison, jusqu'au 30 septembre. J'ai retrouvé mon unité, fortement en retraite, le 2 octobre à ORIGNY.
Quand j'ai signalé mon retour au secrétariat„ l'adjudant m'a dit : « bon sang, pourquoi
n'es tu pas rentré un jour plus tôt, ce n'est que hier que j'ai fait un rapport ».
Je lui donnai alors un peu de schnaps.
A partir de là, les choses se précipitaient. Plus un jour de tranquillité. Où nous arrivions,
tout était vite aménagé en quartiers. Une fois, la cuisine roulante a eu un coup au but.
Les ballons avaient vu sa fumée, elle s'est donc trahie elle-même, 2-3 obus sont tombés
sur le hangar où elle stationnait. Le cuisinier et le sous-officier ont été touchés, les deux
étaient gravement mutilés, plus de tête. Nous les avons enterrés dans le jardin, à
environ 10m de là. Une autrefois, pendant la nuit, lors de la retraite, c'est l'Etat - Major
du régiment qui a pris un coup au but. Nous avons enterré un capitaine et 6 hommes
dans le parc d'un château. Le frère d'un des soldats, qui était parmi eux, s'en est tiré
sain et sauf. Tous les jours, nous reculions. Une nuit, nous devions poser des mines
antichars dans le glacis. Chacun de nous reçut 2 mines de 20 kg armées sous les
bras. Il fallait les porter sur 3 à 4 cents mètres, les poser et les couvrir d'herbe. J'étais
toujours le dernier, mais le premier à être revenu.
Un jour, j'ai eu l'ordre de me rendre auprès de l'Officier du Tribunal, rue de Ribemond
à St .QUENTIN. On m'a interrogé parce que j'ai dépassé la durée de ma permission.
J'ai signalé que, par deux fois, j'ai demandé un congé supplémentaire, vu que mon
père était malade. Comme j'attendais toujours la réponse, il arriva que je reste
quelques jours de plus. Au bout de 8 jours, Le commandant de la section fit
rassembler la compagnie et la mettre au garde à vous. Il déclara : Le Grenadier
Paul Fassel est puni de 5 jours d'arrêt de moyenne-rigueur, pour avoir indûment
dépassé la durée de sa permission. Compris. Oui mon adjudant.(Je ne l'ai pas
honoré encore jusqu'à maintenant).
Où que nous arrivions, il faut le dire, on désignait partout et rapidement, un
commando pour creuser des latrines. Je n'étais jamais bien pressé pour cela. Je
disposai d'une pelle - bêche. Il fallait creuser sur 40-50 cm de profondeur, 80 de
ongueur et 40 cm de largeur. Sur les cotés étaient enfoncées des pieux, pardessus,
une barre pour s'asseoir.
Si je suis encore en vie, c'est grâce à mon Ange Gardien que je priais journellement,
car nous étions constamment en grand danger. J'ai toujours prié le chapelet. Tous
les jours nous reculions davantage. Le 7 novembre, je suis entré en captivité chez
les Français. J'ai encore la lettre annonçant à mes parents que, comme le suppose
la compagnie, je suis tombé en bonne santé aux mains des Français. Celle-ci porte la
signature du commandant de la compagnie, le Lieutenant. POTT.
En captivité.
Dans cette partie, je veux raconter comment j'ai été fait prisonnier. J'étais extrêmement
content, que nous soyons dorénavant hors de danger. Mais d'emblée, je dois signaler,
que nous, Alsaciens, avons été très déçus par la captivité et par la façon dont on nous
a traités, comme je vais maintenant le relater. Le 7 novembre 1918, comme déjà dit,
j'ai été capturé par les Français. Nous étions en patrouille à coté du village de
LARREVILLE.
Il y avait là de grand pâturages entourés de haies vives de 2-3 m de haut, avec par
endroits des trouées juste de quoi passer. Comme nous arrivions par la route, plus ou
moins cachée par des haies, on nous a donné l'ordre de ne pas tirer, vu que des
négociations pour la paix étaient en cours. Voilà qu'une patrouille Française arrive
près de nous. Nos officiers nous donnèrent brusquement l'ordre de tirer, mais
personne ne le fit. Alors les officiers « fichèrent le camp », comme on dit. Des coups
de feu partirent. Etaient - ce des tirs amis ? J'étais à 200-300 m du village et courus
chercher protection vers ce dernier. Devant moi, quelqu'un était coincé par son
havresac dans un des trous des haies. D'un coup par derrière je l'ai libéré. L'un courait
à gauche, l'autre à droite, directement vers la maison la plus proche, qui était à coté
du pré. Une femme dans la quarantaine, aux cheveux roux, sortit de la maison. Je mis
mon fusil et mon havresac à terre, et déjà un petit Français, avec sa baïonnette, était
près de moi.
J'ai dit : ( en français ndt) « Pardon, je suis Alsacien ». C'était tout ce que je savais
à l'époque. Le Français, au visage rougeaud et barbichette en pointe, à la Napoléon,
me palpa sous mon uniforme, à la recherche d'une montre, mais je n'en avais pas. Alors j'emmenais mes affaires de cuisine, je crois qu'il y avait encore dedans des légumes
secs, et une paire de chaussures françaises. Puis je me rendis, le coeur léger, dans la
rue du village, lieu de rassemblement des prisonniers. Nous étions environ 100
prisonniers, et 2-3 blessés graves, qui furent emmenés sur des civières vers l'infirmerie
la plus proche.
La première nuit, ils nous ont entassés dans une écurie qui jouxtait la route. Avant
d'y entrer, nous fumes fouillés à la recherche d'objets comme des montres, armes ou
couteaux. Chacun devait vider ses poches de ces objets. J'avais avec moi le couteau de campagne, gagné à Neustettin, comme 8ème prix de natation.
J'ai dû le donner. Tous les jours nous marchions 10 — 20 km, toujours vers l'arrière.
Nous sommes passés par de nombreuses contrées où nous avons combattu auparavant.
Nous, les Alsaciens, avions cousu l'écusson tricolore à nos bonnets. Mais on n'a pas
fait la différence : on nous a traités comme les Allemands. Au bout de 8 jours, nous
arrivâmes dans un camp de transit, où on nous logea dans des tentes ou des huttes de
terre couvertes de tôle ondulée. Notre estomac était de plus en plus torturé par la faim.
On nous a donné du bouillon avec de la viande de cheval, 1/4 de pain , et, pour deux
hommes, une boîte de sardines et parfois, du café ou du thé. Avec les carcasses des
têtes de chevaux, nous avons fait une soupe. J'en ai vu un, qui cherchait dans le caniveau les restes d'orge ou de riz jetés avec l'eau de vaisselle pour les manger.
Nous n'avions pas à travailler, seulement chercher du bois dans la forêt pour faire la
cuisine. Je dormais dans une de ces cabanes de terre, tout près de la fenêtre, qui
était ouverte toute la nuit, car 20 hommes y logeaient.
Le matin, mes pieds étaient engourdis au point que je les croyais gelés. Au bout de
15 jours environ, nous continuâmes et croisions sur la route des colonnes de l'Armée
Française, qui nous crièrent joyeusement ( en français ndt) « Finie la guerre ! ».
Les chaussures françaises que j'avais avec moi me furent rapidement fatales. Je
les portais pendues à mon bras gauche, et tout à gauche de la colonne. Tout à coup,
un Français qui longeait la colonne me les arracha du bras. Mais il ne put en avoir
qu'une, l'autre m'étant restée. Du coup, des injures furent échangées. Une chaussure
ne me servait plus à rien. (Ces chaussures, je les avais achetées pour 3 marks à
un Allemand).