André Fender
Portrait d'un pécheur
Erstein - Mémoires d’un pêcheur Article paru dans les Dna du 15 Aout 2013
Dans la famille Fender, on est pêcheur de père en fils depuis de nombreuses générations et les cours d'eau de la localité n'ont aucun secret pour André, ce vaillant nonagénaire aux souvenirs vivaces
« Chaque pêcheur fabriquait ses propres filets, raconte-t-il. On tricotait tout l'hiver, bien au chaud, les anciens enseignant la technique aux plus jeunes. » Une technique qui s'est perpétuée au fil des siècles et qui consiste à confectionner un maillage en se basant sur un noeud.
Le filet se travaille avec deux outils : une navette et un moule. La première fonctionne exactement comme une navette pour le tissage : on enroule une réserve de fil dessus qui va se dévider au fur et à mesure. Le moule est un accessoire qui va servir de base à la formation desmailles. « Autrefois, on utilisait du chanvre, puis du coton mercerisé. Actuellement, les filets de pêche sont en nylon », précise le pêcheur. Il n'est pas rare d'ailleurs, lors de manifestations locales telles des fêtes d'antan ou récemment « Erstein, un parfum de printemps », de voir André Fender faire une démonstration de cette technique. « Si je répondais à toutes les sollicitations, sourit-il, je n'aurais plus aucun dimanche de libre. »
«Du poisson pour le curé»
Autrefois, le poisson était largement consommé sur toutes les tables. On ne mangeait pas de viande le vendredi, on respectait la semaine sainte et le carême. L’ouvrage ne manquait pas. Chaque pêcheur utilisait entre 35 et 40 nasses qu’il fallait renouveler régulièrement. À Erstein, il y avait douze familles de pêcheurs avant la guerre de 1914-1918. Tout le monde avait du travail mais beaucoup d’entre eux étaient agriculteurs en même temps.
La vie du pêcheur était rude. « Nous n’avions pas de bottes en caoutchouc, se souvient
André Fender. En été, on y allait pieds nus et en hiver avec des sabots. » Du minuscule ru à l’Ill, en passant par les canaux et dischels construits par les hommes ainsi que les petits cours d’eau issus de la nappe phréatique, il n’était pas rare de les voir dans leurs grandes blouses qui les protégeaient des taons, de l’eau jusqu’aux genoux relever les nasses au petit matin ou à la tombée du jour. Quand le soleil se faisait plus ardent, ils se protégeaient la tête avec de grands mouchoirs et s’enduisaient de saindoux afin d’éviter les coups de
soleil. « Il n’y avait pas de crème solaire », précise malicieusement le vieux pêcheur.
La rivière était généreuse en ce temps-là. Elle regorgeait de barbeaux, de perches, de brèmes, de carpes, de truites et de brochets sans oublier les anguilles qu’affectionnaient de nombreux amateurs.
« Nous devions toujours garder du poisson pour le curé. Tous les jeudis soir, sa cuisinière venait le chercher, raconte André Fender. Et puis nous allions le vendre à Obernai aux marchands de bestiaux juifs. Ils ne voulaient que des poissons nobles tels le brochet ou la truite et il fallait que les poissons soient encore vivants. »
Ce temps-là est révolu depuis la Deuxième Guerre mondiale. Les marchés aux bestiaux se firent alors plus rares. Avec le développement des moyens de transports, les poissons de mer ont garni peu à peu les étals. Les rites religieux de moins en moins respectés, le pêcheur continua alors à travailler principalement pour des restaurateurs spécialisés dans la matelote.
Actuellement, Erstein ne compte plus de pêcheur professionnel et il en reste très peu en Alsace dont Martin Thalgott à Plobsheim et Adrien Vonarb à Balgau dans le Sundgau
Liliane ANDRES
Marcel HEYM
Portrait d'un cordier
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ERSTEIN Vieux métiers Article Dna du Vendredi 30 août 2013
Mémoire de cordier
Il est de ces métiers aujourd'hui disparus qu'on ne voit plus guère que dans les écomusées, les fêtes d'antan et autres manifestations ayant trait au patrimoine.
L'ersteinois Marcel Heym, héritier de plusieurs générations de cordiers fait volontiers revivre son métier quand l'occasion se présente. Issu d'une corporation qui était représentée au conseil de la cité de Strasbourg dès 1334, le métier de cordier est très ancien. Souvent héritée du père, cette profession touchait quantité de corporations : outre tous les cordages utiles à la navigation, cordes et ficelles étaient utilisées pour maintenir les gerbes de blés sur les chariots et lier les balles. Le cordeau servait au jardinier et au maçon, les longes aux chevaux, les chablots étaient utilisés pour lier les échafaudages, les cordes chapelières servaient aux emballeurs.
Cordier de père en fils depuis le XVIIIe siècle
Les tapissiers et matelassiers utilisaient la ficelle à piquer, tandis que les relieurs se servaient de la ficelle grecque et les tisserands de la ficelle d'arcade. « Avant la guerre de 1914-1918, les cordiers avaient beaucoup de clients, se souvient Marcel Heym, surtout les agriculteurs. Ils avaient besoin de rênes pour les chevaux, de cordes pour accrocher le tabac dans les hangars et de beaucoup de ficelles de toutes sortes, car en hiver, ils rafistolaient eux-mêmes des bouts de ficelle et au printemps ils venaient commander des cordes chez nous. » Dans la famille Heym on est cordier de père en fils depuis le XVIIIe siècle.
La corderie était située le long du fossé de la ville, non loin d'une rue appelée autrefois « Seilergass, rue des Cordiers, aujourd'hui rue du Général-Leclerc. Vue la longueur des cordes, de grands espaces étaient nécessaires à leur fabrication. L'aire de travail étroite et longue mesurait plus de 100m et allait de la maison de Marcel Heym au début de la rue du
Rempart jusqu'au carrefour avec la rue du Général-Leclerc.
Le cordier, curieusement, passe sa vie à travailler à reculons. En effet, après avoir préparé le chanvre broyé grâce à différents peignes, appelés aussi serans, aux dents plus ou moins longues et écartées pour le débarrasser des débris de bois (teillage) et séparer les fibres en fils très fins (peignage), arrive le filage : le cordier prend la filasse dans un tablier autour de sa taille et, après avoir fait une boucle qu'il accroche au rouet, va dévider le chanvre tout en reculant le long de l'aire, tandis que le tourneur actionne la roue pour torsader le fil. Tout l'art du cordier consiste à dévider le chanvre le plus régulièrement possible pour éviter
bourrages et épaisseurs.Les fils sont ensuite réunis et tordus ensemble, puis le cordier se sert du toupin pour assurer la régularité de la torsion. "Les cordiers cultivaient eux-mêmes le chanvre" précise le vieil artisan.
C'était rentable jusqu'en 1875 environ. Après la guerre 14/18, le métier a disparu peu à peu avec l'invention des câbles métalliques et l'apparition des fibres synthétiques, qui signent la mort de l'artisanat.»
Le grand-père et le père de Marcel ont cependant continué à fabriquer des cordes tout en vivant de l'agriculture.
« Quand j'étais petit dit Marcel, j'aidais mon père à la sortie de l'école avant d'aller jouer. On n'avait pas de devoirs. On travaillait en classe, nous... »
Certains cordiers étaient concessionnaires de kelsch (tissu traditionnel alsacien en lin) et fabriquaient des matelas avec du crin.
Aujourd'hui, pour son plaisir, celui de son public et des enfants, Marcel Heym reproduit volontiers les gestes ancestraux afin de fabriquer de jolies cordes à sauter de différentes couleurs, des cordes à linge aussi lors de diverses démonstrations. « Il n'est pas rare que j'en fabrique plus de 60 par jour, comprenez, chaque enfant veut avoir la sienne », précise-t-il.
Liliane Andres
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Le processus de tressage à l'ancienne