La cérémonie des relevailles
De nos jours complètement disparue, la cérémonie des relevailles occupait, au début du XXe siècle, une certaine place dans le calendrier d'une jeune mère. La cérémonie se déroulait à l'église, la première fois qu'une femme y allait après ses couches.
Généralement, cette sortie avait lieu quatre ou six semaines après l'accouchement et coïncidait avec la première sortie de la jeune maman. En se rendant à l'église, la mère voulait d'une part, remercier le Seigneur pour l'enfant qu'il lui avait accordé, d'autre part se soumettre à une sorte de rite de purification qui l'agrège de nouveau totalement à l'ensemble de la communauté des vivants. Pour cette fête, le christianisme a emprunté aux Hébreux le rituel de la Purification au Temple, auquel se soumit la Sainte-Vierge (le calendrier chrétien commémore cette purification de Marie le jour de la Chandeleur). La cérémonie des relevailles est attestée la première fois pour l'Alsace au IX' siècle par le moine Otfrid de Wissembourg.
Chez les catholiques, la cérémonie des relevailles se déroulait de la manière suivante. Le dimanche, avant la messe, le prêtre accueillait la mère sur le parvis de l'église. Elle était aspergée d'eau bénite et on lui tendait un cierge allumé. Après des actions de grâce adressées à la Vierge, la femme baisait l'étole du prêtre. Et en tenant une frange de cette étole, elle se relevait pour se faire conduire à l'autel où elle déposait une offrande. Dans la prière que récitait le prêtre à cette occasion, on demandait expressément à Dieu que les forces du mal n'aient aucune emprise sur la mère. « Nihil proficiat inimicus in ea. Et filius iniquitatis non apponat nocere ei. » (Que l'Ennemi n'ait aucune prise sur elle. Et que le fils de l'iniquité n'ose point lui nuire). À la fin de la cérémonie, le prêtre aspergeait encore une fois la femme d'eau bénite et récitait une formule de bénédiction. Après l'office il recevait, ainsi que le sacristain, quelques dons en nature.
Chez les protestants les relevailles se résumaient à une prière d'action de grâces et une
bénédiction de la mère. Dès le XIXe siècle on jumela baptême et relevailles. De nos jours,
dans quelques églises luthériennes, comme celles de Bischheim, Brumath et
Saint-Pierre-le-Jeune de Strasbourg, subsistent les relevailles sous forme d'une bénédiction
de la mère avant ou après le baptême.
Autrefois, la cérémonie religieuse était suivie d'un repas familial où la mère était à l'honneur. On
voulait, par ce copieux repas, lui rendre les forces perdues lors de la naissance de l'enfant et
marquer la fin de certains interdits alimentaires (exemple : les mets épicés). La mère, après
cette fête, était à nouveau totalement intégrée dans la communauté.
Du point de vue médical, les relevailles peuvent correspondre à la réapparition des règles. De
toute façon on pensait qu'après les relevailles on avait de nouveau le droit d'avoir des relations sexuelles.
Les filles-mères
Les relations sexuelles avant le mariage ont été de tout temps condamnées par les Églises
chrétiennes qui y voient une conduite d'origine démoniaque. Autrefois, des sanctions
ecclésiastiques étaient prévues pour ceux qui contrevenaient à cet interdit et qui avaient conçu
un enfant avant l'union religieuse. Le péché était double, vu que les époux avaient en plus dû
mentir à l'ecclésiastique qui avait posé la question des relations sexuelles avant l'union religieuse
lors des entretiens préparatoires au mariage.
Au XIX' siècle, on assouplit les sanctions ecclésiastiques. La punition consistait alors à baptiser l'enfant après le culte et non plus pendant le culte. Quant aux filles-mères, elles étaient sanctionnées beaucoup plus durement, vu qu'elles menaçaient beaucoup plus l'ordre social établi. Quand une fille non mariée était enceinte, le premier soin de la famille était de trouver, avec l'aide du pasteur ou du curé, le père de l'enfant à venir. L'ordre social ayant été ébranlé, tous les moyens de pression étaient bons pour faire aboutir cette recherche de paternité.
Ainsi, dans les vieux registres paroissiaux d'Eckwersheim, on signale que la sage-femme avait
reçu ordre de ne prodiguer ses soins à une fille non-mariée qu'au cas où celle-ci révélerait le nom
de l'homme avec lequel elle avait eu des relations sexuelles. Mais les recherches n'aboutissaient
pas souvent. Les futures filles-mères étaient alors exclues des prières que récitait le pasteur à
l'intention des futures parturientes. Leur présence n'était pas souhaitée dans les « Spinnstube »
où se réunissaient le soir, en hiver, les femmes du village pour bavarder un peu et pour filer de la
laine. La future fille-mère devait boire sa honte toute seule. Les gamins du village se permettaient
même de l'apostropher et de lui crier des surnoms très désobligeants lors de son passage dans
la rue. En outre, elles étaient soumises à une punition ecclésiastique. Celle-ci consistait en une admonestation publique faite par le pasteur, le dimanche matin en chaire, devant l'ensemble de la communauté. Pendant toute la durée de l'office religieux les futures mères célibataires devaient
se tenir debout dans les premiers rangs de l'assistance. De plus, elles devaient payer une
amende qui était versée dans la caisse de l'église paroissiale. Par la suite, si elles allaient encore
à l'église, elles ne pouvaient plus prendre place au milieu des autres femmes de leur âge.
Les mères célibataires devaient se tenir dans le dernier banc du côté des hommes. Parfois ces
bancs ou ces chaises portaient des noms spéciaux comme « Huchestuhl » ou « Huchebänkel »
(banc de la prostituée), « Sinderbänkel » ou « Sünderbenkel » (banc des pécheurs),
« Schandbänkele » (banc de la honte). Enfin, les mères célibataires n'avaient pas droit à une fête
des relevailles. Elles perdaient aussi toute possibilité de devenir marraine d'un enfant.
Les enfants naturels
Même si une certaine tradition empreinte d'hypocrisie veut nous faire croire que les enfants
naturels n'étaient que des cas isolés et très rares autrefois, il faut récuser ces affirmations.
Les statistiques de l'Etat Civil montrent bien que les enfants naturels n'étaient pas des cas
isolés.
L'enfant naturel était marqué par une sorte de sceau d'infamie. On ne sonnait pas les cloches pour annoncer son baptême et souvent on le baptisait après le culte, en signifiant par-là que l'enfant était en quelque sorte mis à part. Le pasteur ou le curé choisissait le nom de l'enfant et exigeait une taxe spéciale pour ce casuel : six schillings . Chez les protestants, qui avaient l'habitude d'avoir deux parrains et deux marraines, en cas d'enfant naturel on réduisait le nombre de témoins à deux, Parfois le pasteur prononçait des paroles spéciales lors de ces baptêmes.
Mais les humiliations ne s'arrêtaient pas au baptême: ces enfants étaient affublés de surnoms rappelant leur origine « pécheresse ». À Sessenheim et à Pfaffenbronn, on appelait un tel enfant « e Bankert » (le bâtard), à Muttersholtz
et dans la vallée de Munster on leur criait « Rohjschäler » (pomme de terre de mauvaise qualité).
L'éveil au mariage
L'union entre deux êtres et la création d'une famille sont les buts naturels qu'un homme et une
femme cherchent à atteindre. Le jeune homme rêve du mariage comme du sommet du bonheur
terrestre et la jeune fille se voit déjà entourée d'un mari affectueux et d'une nombreuse progéniture.
Très tôt les enfants, dans leurs jeux, expriment ces désirs profonds (« Mer gehn
Hochzitterlesspiele » — on va jouer aux mariés).
Il arrive que les parents surveillent d'un œil ces jeux de leur progéniture. Quand un couple ou des couples se forment, ils commentent et critiquent parfois le choix du partenaire. En s'amusant, on pèse déjà le pour et le contre de chaque parti.
Les enfants aiment aussi chanter et, souvent, leurs chants traduisent ces désirs naturels. Ainsi
en témoignent ces chansons enfantines du siècle dernier :
« Eins, zwei, drei, vier, /Mit em rote Bändele, /
Wenn i sechzeh Johr alt bin, / Wurr i Marketendere. »
(Un, deux, trois, quatre, avec un ruban rouge,
quand j'aurai seize ans, je deviendrai cantinière).
Cette chanson doit sûrement venir d'une ville alsacienne où il y avait des soldats en garnison.
« Gutte Morge, Spielmann, / Wo bleibscht Du so lang ? » « Dort drunte, dort drowe / Dort danze die Schwowe /
Mit der klaane Gigelgei, / Mit der grosse Bumbum. /
Der Kaiser schlaht d'Trumm'. / Viel Ochse, viel Kiih, /
Viel Jungfraue sin hie, / Krejt kaani kenn Mann, /As d'Ochsemariann. »
(Bonjour musicien, où es-tu resté si longtemps ? »
« En bas, comme en haut, là-bas les Allemands dansent,
avec un petit violon, avec la grosse caisse. L'empereur bat tambour. Beaucoup de boeuf, beaucoup de vaches,
beaucoup de jeunes filles sont là, mais aucune n'aura de
mari, sauf Ochsemarianne).
Ce texte n'est pas exempt d'une pointe satirique dirigée contre l'occupant de l'époque.
« Min Harz, des schlaat, /Wen's Urschel kummt, /
Grad as wie wenn a Dambür drummt. »
(Quand Ursule vient, mon coeur bat comme un tambour).
Ces chansons expriment parfois les chagrins d'amour que les enfants peuvent éprouver lors d'une amourette déçue :
«I ging an's Bürnelein / Trink awer nit: Süch min herztoüsender
Schatz / Fin d'awer nit. »
(Je suis allée à la fontaine, mais je n'ai pas bu : j'ai cherché mon trésor bien-aimé,
mais je ne l'ai pas trouvé).
Le texte suivant était surtout connu à Magstatt-le-Bas et dans les environs :
1) Nun adje, jetzt ists beschlossen : / Ein Körblein hab ich dir geflochten, /
Nimm du es hin so hübsch und fein / Un leg dein falsches Herz hinein.
(Eh bien, adieu, c'est décidé : j'ai tressé pour toi une petite corbeille, prends-la, elle qui est
si belle et si fine, pour y mettre ton cœur hypocrite).
2) Warum bist du so hoch gestiegen, / Und hast dein Falschheit mir verschwiegen ?
/Bei Tag und Nacht hab ichs gewacht / Un hab dein falsches Herz betracht!
(Pourquoi étais-tu si prétentieux et pourquoi as-tu caché ton hypocrisie ? Jour et nuit j'ai
attendu et j'ai contemplé ton coeur hypocrite !).
3) Reich bist du, aber nicht der Reichste ; / Du bist schön, aber nicht der Schönste ;
/ Und wer du bist, das bin auch ich, / Drum hör' nur auf zu lieben mich ! »
(Tu es riche, mais pas le plus riche; tu es beau, mais pas le plus beau ; et ce que tu es,
je le suis aussi, c'est pourquoi cesse de m'aimer !).
L'éducation sexuelle
L'éducation sexuelle reposait uniquement sur les parents, sur les éducateurs, sur l'échange d'informations entre jeunes, enfin sur la Nature elle-même. Quand on interroge des vieilles
personnes sur ce problème, presque inévitablement on reçoit comme réponse : « Frejer isch
mer net e so uff-geklärt gsin wie hiet. » (Autrefois on n'était pas aussi bien informé qu'aujourd'hui).
Il y a encore cinquante ans, une certaine morale religieuse faite surtout d'interdits et considérant
la sexualité comme marquée fortement du sceau du péché, avait une emprise très importante
sur la population tant catholique que protestante. Quand les enfants interrogeaient leurs parents
pour savoir quels moyens la Nature avait choisis pour perpétuer l'espèce humaine, ils recevaient souvent des réponses embarrassées et gênées.
Les nombreuses légendes alsaciennes sur l'origine des enfants reflètent le mystère de toute vie
et manifestent l'embarras des parents devant des questions trop précises de leur progéniture.
Les instituteurs, les curés et les pasteurs n'abordaient pas franchement ce problème. Ils se
contentaient de répéter avec force les interdits sexuels existant dans la société : ne pas avoir
de relations sexuelles avant le mariage, et ces relations ont comme unique but la procréation.
Il ne faut pas se marier avant d'avoir une situation sociale solide : « Hirot numme wenn de ebs
bisch ! » (Quand tu auras une situation, tu te marieras !). On éludait les questions trop précises
par cette réponse : « Dies wäre ihr schon alles emol sehn. » (Un jour vous verrez tout cela).
À la campagne, l'information sexuelle était en partie assurée par la Nature elle-même. À la ferme, mille petits événements de la vie de tous les jours permettaient à des enfants, tant soit peu observateurs, de se faire une certaine idée de la manière dont étaient conçus les enfants et de la manière dont ils arrivaient au monde. Se rendant à la basse-cour, ils pouvaient voir le coq courir après la poule ; parfois ils devaient conduire le chien de la ferme vers la chienne de même race d'un autre village. Ils pouvaient aussi entendre leurs parents recommander à tous les membres de la ferme de ne pas lâcher la chienne parce qu'elle était en chaleur: « De Hund insperre weil er laafig isch » (Enfermer la chienne car elle est en chaleur).
Ils entendaient le gardien du troupeau communal de porcs venir annoncer à la ferme la bonne
nouvelle : « Le verrat s'est accouplé avec une des truies ! » Dans ce cas, la coutume était d'offrir
un verre de vin ou de schnaps au gardien et de lui remettre une pièce d'argent. Ils voyaient aussi
le boucher qui venait châtrer les jeunes porcs, et souvent ils pouvaient rester dans l'étable quand
une jument ou une vache mettait bas. Toutes ces informations, quoique fragmentaires, une fois rassemblées dans l'esprit des enfants, leur permettaient de se faire une idée sur les moyens utilisés
par la Nature pour perpétuer la vie.
Enfin, les jeunes avaient encore deux autres sources de renseignements : la Bible et les camarades. Beaucoup d'enfants puisaient certaines de leurs connaissances sur la sexualité dans la Bible, et
plus particulièrement dans l'Ancien Testament. À l'école, ou pendant les loisirs, ils échangeaient
entre eux les informations dont ils disposaient.
Comment trouver un mari
La mentalité populaire pense que chacun peut trouver son partenaire avec lequel il pourra s'entendre : «Züem e jedem Holzschueh find sich a andere. » (À chaque sabot il y a un correspondant). «Züem e jedem Haefele g'hert e Deckele. » (Chaque pot a son couvercle). «Jeder Hansel find e Gredel » (Chaque Jeannot trouvera une Gretel).
De toute façon, si une jeune fille est issue d'un milieu aisé et si les parents possèdent une grande exploitation agricole, elle n'aura aucune difficulté à trouver un conjoint. Elle n'aura que l'embarras du choix.
Il arrive que les jeunes filles avancent en âge sans qu'une union se dessine à l'horizon. Leur impatience grandissant, elles recouraient alors, au début du XXe siècle encore, à certains procédés qui étaient réputés donner l'année du mariage, le nom du futur et parfois même sa profession. Un « truc » réputé était d'aller, à minuit, près du poulailler pour écouter quel animal se signalera le premier. Si le coq lance son cri le premier, la fille se mariera dans l'année; si c'est une poule qui caquette, la fille devra encore attendre.
Ce procédé trahit la manière donc on conçoit le partenaire.
Celui-ci est, en quelque sorte, un alter ego. Pour savoir la profession du futur mari, on peut aussi compter les
noyaux de cerise ou de prune restant sur la table. On compte dans l'ordre suivant:
«Bettelmann, Edelmann, Küster, Pastor; / Doktor, Apotheker, Kaufmann, Major. »
(Mendiant, gentilhomme, sacristain, pasteur, docteur, pharmacien, commerçant, major).
On recommence la série s'il y a plus de huit noyaux.
Le 30 novembre, la nuit de la saint André, patron des vieilles filles, semble très propice pour
révéler aux jeunes filles leur avenir conjugal. Déjà au XVII' siècle, le prédicateur protestant de
la cathédrale de Strasbourg, J.-C. Dannhauer, dénonce avec vigueur les superstitions
diaboliques (diabolicas superstitiones) qui règnent à la saint André. Ainsi dans le Sundgau,
au début du XX' siècle, il était encore courant de couler du plomb cette nuit-là. Devant le baquet
d'eau, la plus jeune fille de la ferme tient une poêle à plomb inclinée, laissant couler dans l'eau
un mince filet de métal en fusion, et elle prononce les paroles consacrées :
« Grosser Andres, Schutzpatron — Was bekummi für einer: Isch's ne Schriner ? Isch's ne
Wirt ? Isch's ne Bättler ? Isch's ne Hirt ? »
(Grand saint André, saint protecteur — Qui sera mon futur : sera-t-il menuisier ?
Sera-t-il restaurateur ? Sera-t-il mendiant ? Sera-t-il berger ?).
Si le charme a opéré, dans le baquet se trouvent formés par le plomb les outils du futur mari:
un sabot, une houlette, une hache, etc.
Les pèlerinages ne sont pas négligés. En particulier, les jeunes filles se rendaient près de
Soultzmatt à une chapelle consacrée à saint Corneille. D'autres vont à une chapelle se trouvant
près du lac de la Maix, consacrée à la Vierge Marie. La chapelle Saint-Michel, se trouvant
au-dessus de Saint-Jean près de Saverne, semble aussi pouvoir exaucer les vœux des jeunes
filles. On se rend à la chapelle en empruntant un sentier très raide. Il y a environ 130 marches du
village au lieu de pèlerinage. La jeune fille doit gravir et redescendre les marches sans dire un
seul mot. Le pèlerinage aboutit à une vieille église romane de couvent. Là, notre personne doit
se diriger vers l'autel consacré à la Vierge, mettre la couronne de virginité qui s'y trouve et réciter
une prière. Il semble que les filles protestantes, elles aussi, ne négligeaient pas ce lieu.
Mais il se pouvait très bien qu'aucun saint ou qu'aucune sainte ne se montrait attentif aux prières adressées. Alors, il restait à la jeune fille la possibilité de se tourner vers la magie. De nombreuses recettes magiques, destinées à susciter l'amour chez une personne, traînent dans les livres de magie et de «médecine populaire» que tout un chacun possédait autrefois.
Ainsi, dans un vieux livre de « médecine populaire » datant du siècle dernier et découvert à Weiterswiller, on peut lire les conseils suivants pour obtenir d'une personne qu'elle vous aime. Il faut prendre un coq âgé de trois ans, le mettre dans une casserole neuve et le transpercer trois fois. On le met ensuite
dans une fourmilière et on le laisse là pendant cinq jours. Ensuite, on le ressort et on prend la pierre blanche qui se trouve dans sa tête. Une fois en possession de cette pierre, on peut susciter une passion chez n'importe qui.
Dans un autre de ces livres ayant appartenu à un certain J.-G. Hummel de Bischheim et datant de 1796, on peut trouver les recettes suivantes en vue du même résultat. On doit avaler une noix de muscade, ensuite il faut la récupérer et en râper une petite quantité qu'on mettra dans un verre d'eau qu'on fera boire à la personne
désirée.
Comme le montrent ces quelques exemples, il existait et il doit encore exister en Alsace, comme ailleurs, de nombreuses pratiques superstitieuses, religieuses et magiques destinées soit à connaître l'avenir conjugal de
la jeune fille, soit à lui accorder le secours du ciel pour trouver un mari, soit encore à lui assurer le concours
de forces occultes capables d'arriver au même résultat.
En effet, devenir vieille fille était toujours un sort peu enviable. Non seulement une telle fille souffrait de la
solitude et du manque d'amour, mais souvent elle était la cible de railleries populaires. À Kembs, près du Rhin,
on veut qu'elles soient réunies après leur mort sur une île de ce fleuve afin de confectionner des corbeilles
d'osier. D'où le nom de cette île : « Jungferegeflecht » (tressage des vieilles filles). À Erstein, on croit les
entendre garder les vanneaux, les « Kibitze » dans le Bruech (Bruech signifie en alsacien et dans certains
dialectes allemands «la prairie marécageuse »). ...
Ces railleries, qui sont parfois à la limite du démoniaque, prouvent combien les Alsaciens faisaient peu de cas
du célibat et de l'absence d'enfants. En effet, des sorts identiques sont promis aux jeunes veuves. On a très
peu voulu voir toutes les bénédictions qui pouvaient résulter de ces situations. En effet, beaucoup de ces
vieilles filles, et il faut leur rendre ici cette justice, ont compensé leurs malheurs personnels par de très grands dévouements au service de la communauté humaine.
Les qualités de l'homme
Quand une jeune fille rêve d'un éventuel mari, elle s'en fait automatiquement une image. Celle-ci est fonction
des goûts personnels de la jeune fille et des critères sociaux définissant, en une région donnée et à un
moment donné, le type d'homme idéal.
En Alsace, les jeunes filles ont de tout temps aimé des hommes ayant le goût du travail. Autrefois, on aimait surtout les agriculteurs, à l'heure actuelle on leur préfère des hommes travaillant en ville, soit à l'usine, soit au bureau. Cela pose même des difficultés aux jeunes agriculteurs qui se plaignent amèrement de ne plus trouver de compagne désirant partager leur vie. Ce métier est peu prisé car il comporte de nombreuses servitudes.
On pense qu'un homme travaillant en ville est plus libre et plus mobile. Ainsi en témoigne aussi cette chanson connue dans toute l'Alsace:
« Maidel dii, Maidel dii, / Hirot nur ken Bürebue, / Hirot ein as der Stadt/Der gewichsti
Schüeh an bat. »
(Jeune fille, jeune fille, n'épouse pas un fils de paysan, épouse quelqu'un de la ville,
quelqu'un qui porte des souliers cirés).
Une autre qualité est prisée par les jeunes filles. Celles-ci, fussent-elles de la ville ou de la
campagne, ont depuis presque toujours pensé qu'un homme n'est véritablement homme et
digne de devenir un mari que quand il a effectué son service militaire. Souvent, on dit de quelqu'un
qui a été exempté de ses obligations militaires.: « Des isch ken richtiger Mann !» (Ce n'est pas
vraiment un homme !).
Deux raisons font que les jeunes filles sont sensibles au fait que les garçons aient effectué leur
service militaire. Premièrement, un garçon était généralement exempté du service militaire pour
des raisons de santé. Il n'est pas souhaitable, surtout dans une exploitation agricole, d'avoir un
mari en mauvaise santé.. Nous voyons de nouveau apparaître ici une certaine sélection naturelle.
D' autre part, on pensait que la discipline militaire, les corvées, les défilés, la vie en caserne, aguerrissent les garçons et leur apprennent à vivre sans leurs parents.
On attend aussi d'un futur mari qu'il ne boive pas, qu'il ne fume pas trop, qu'il soit fidèle.
La situation financière du jeune homme a, elle aussi, quelque importance dans l'idée qu'on se fait de l'homme désiré :
« Ich hob nix, Un Du hesch nix. Un wo zwei Nixle zesamme kumme, Do gitt's e Hiffele Unglick. »
(Je n'ai rien, tu n'as rien. Et quand deux petits riens se rencontrent cela donne un petit tas de malheurs).
En conséquence, les signes extérieurs de richesse ne sont pas négligés.
Les jeunes filles s'intéressent beaucoup aux fils uniques. En effet, leur situation matérielle est assurée puisqu'ils hériteront de la totalité des biens de leurs parents :
« Nimt me e einziges Kind, / So legt me sich in a g'macht Nascht. »
(Quand on se marie avec un fils unique, on se couche dans un nid tout fait).
On ne négligeait pas les qualités religieuses. Un homme profondément croyant et pratiquant était souvent le gage d'une union heureuse. Ainsi le confirme cette strophe, d'un cantique protestant, inscrite sur une maison de Lampertheim vers les années 1850:
« Heil, wenn sich Mann und Weib und Kind / In eines Glaubens Sinn verbindt, /
Zu dienen ihrem Herrn und Gott / Nach seinem willen und Gebot. »
(Il y a salut quand l'homme, la femme et l'enfant sont unis dans une même foi de
servir leur Maître et Dieu selon sa volonté et sa loi).
Mais on cherche aussi chez un garçon de la patience, car dans le mariage il y aura nécessairement des tensions. Ainsi le suggère cette chanson populaire :
« Wenn du willst ein Ehemann werden, /Must du haben viel Geduld, /
Sonst hast du die Höll auf Erden. »
(Si tu veux te marier, il te faudra beaucoup de patience,
sinon tu auras l'enfer sur terre).