Vente à l'ouvroir et vente sur les marchés.
L'ouvroir correspond à une sorte de fenêtre munie d'une étagère qui donne sur une rue commerçante, c'est semble-t-il la première boutique. Une partie importante de la vente se faisait sur de nombreux marchés, approvisionnés également par des talmeliers forains venus des campagnes proches pour vendre des pains de plus grosse taille.
Les fours du moyen âge.
Au départ, les talmeliers n'étaient pas propriétaires de leur four, ils devaient aller cuire au four banal. C'est peut-être seulement à la fin du 12ème siècle, voire 1305, qu'ils ont eu l'autorisation de construire leur propre four. Les risques d'incendie étaient très importants car la majorité des maisons étaient construites à pans de bois. Apparemment ces fours étaient extérieurs, de forme ronde parfois posés sur pieds ou portatifs, et d'un diamètre assez faible.
Un commerce très surveillé.
Plus le pain a été consommé par une large fraction de la population et plus le prix de cet aliment a pris de l'importance vis à vis de la tranquillité publique ardemment souhaitée par l'autorité royale.
1268 : les talmeliers sont omniprésents
Dans le livre des métiers d'Etienne Boyleau la profession des talmelier est en première position. Pas moins de 61 articles la régissent. En 1316 à nouveau une foule de règlements et ce jusqu'en 1978... Des amendes, des emprisonnements, des peines corporelles sanctionnaient les boulangers fraudeurs.
"Dis moi quel pain tu manges
je te dirais qui tu es".
Même si l'on excepte les nombreuses disettes et famines du moyen-âge, les disponibilités
en grains ont toujours été faibles. Non seulement le froment était rare mais une farine
blanche de froment représentait un sommet dans le raffinement.
Qui plus est, il semble bien qu'il y ait eu un consensus parmi les médecins pour soutenir
que la fleur de farine de froment convenait mieux aux estomacs des oisifs (seigneurs,
chevaliers, ecclésiastiques) alors que les farines complètes de seigle d'orge apportaient
plus de force et de vigueur aux paysans. Le pain de riche devait être délicat, celui du
pauvre nourrissant.
Des tranches de pain en guise d'assiette.
Les tables du moyen âge ne comportent pas d'assiettes. On a l'habitude de déposer sa viande sur des pains tranchoirs. Ce furent peut-être des pain plats spécifiques ou bien des tranches de mie suffisamment rassies.
1350 : guerre de cent ans et détresse des paysans.
1450 : les périodes de guerres,
Les exactions de bandes pillardes se traduisaient souvent par le pillage des récoltes. Découragés, les paysans semaient le minimum. Le marasme des campagnes, accentué par une pression fiscale excessive explique les nombreuses révoltes et jacqueries paysannes. Le salut des Jacques fut parait-il "Le pain se lève".
Mouture manuelle, bouillies et cuisson sous la cendre, sont pratiquées pour éviter de payer
l'impôt de banalité. Dans certaines provinces au terroir peu fertile, les paysans ont consommé essentiellement des bouillies (grou ou gruau d'avoine) jusqu'à la fin du 18ème siècle.
1500 : le pain dans les dictons du 16ème.
"Où pain faut, tout est à vendre".
"Grande faim ne trouve jamais mauvais pain".
"A faim de quinzaine, pain de trois semaines".
'Mieux vaut un pain d'orge sans dette qu'en prêt un pain de froment".
Pétrissage avec les pieds.
Il semble que les pâtes à pain aient été volontairement sous-hydratées, donc fermes, car on considérait qu'un pain fabriqué avec davantage d'eau serait moins nourrissant. On commençait le pétrissage avec les mains, mais lorsqu'il y avait beaucoup de farine, on l'achevait avec les pieds, quelquefois nus, quelquefois enveloppés dans un sac. Ce pétrissage se faisait à même le pétrin ou sur une table placée à terre.
La levure de bière flamande.
Au 16ème siècle, et peut- être avant, les Flamands, gros consommateurs de bière
utilisent l'écume de bière riche en levures, dans la fabrication de leur pain. Liébaut,
auteur français de l'époque, signale d'ailleurs que le pain des flamands est beaucoup
plus léger que celui des français. De plus, il ajoute que les pâtissiers utilisent cette
levure de bière dans la fabrication de leurs échaudés et pains bénis.
1570 : le pain mollet à l'italienne
Entre 1450 et 1550, on assiste à une montée du luxe dans les villes. Les pâtisseries à base de sucre de canne et de poudre d'amande apparaissent en Italie. En France, vers 1570, les cuisiniers de Catherine de Médicis fabriqueront pour la reine, un pain mollet contenant lait, sel et levure de bière. Peu après, ce pain fera fureur à Paris.
L'appellation pain mollet provient du fait que la pâte est nettement plus hydratée que ce qui se faisait alors. La levure introduite permet d'obtenir
une mie 'oeillettée', c'est à dire bien alvéolée. Avec ce pain mollet, la technologie de
panification prend un nouveau départ à Paris.
Pain brié
Un autre pain connaîtra le succès au 16ème siècle : Le pain de chapitre. Il sera
fabriqué avec une farine très blanche. Sa pâte sera ferme et la fin du pétrissage
s'effectuera avec une brie, sorte de levier permettant de travailler des pâtes très
dures (Arpin).
1546 : interdiction de repasser les sons sous la meule.
La mouture à la grosse ne permet pas d'obtenir une extraction importante, ainsi dans la plupart des cas, les sons sont encore gorgés de farine. Pour d'obscures raisons, les médecins vont prétendre que la farine, qui pourrait être obtenue en reprenant ces sons et en les repassant sous la meule, est indigne d'entrer dans le corps humain. Les boulangers ont d'ailleurs le droit de nourrir des porcs afin d'utiliser ces sons. Cette mesure va bloquer tous les progrès en mouture et accentuer les pénuries par la sous-extraction qu'elle impose.
Le développement des sciences profite à la technologie meunière et boulangère. Les techniques de panification progressent considérablement. Mais le blé connaît de fortes hausses de prix et, à l'aube de la révolution, la colère du peuple affamé se cristallise contre les boulangers.
1570 : création d'une police du blé et du pain.
Cette police sera chargée de contrôler le négoce du blé sur les marchés aux grains, d'effectuer à intervales réguliers des essais de rendements de farine en pain afin de déterminer le prix de vente maximum. Elle imposera également des qualités réglementaires, la présence de balances sur les lieux de vente et des marques sur le pain. Chaque boulanger appose un poinçon avec ses initiales sur les boules avant cuisson.
1650 : évolution des goûts alimentaires.
A cette époque, de nombreux livres de cuisine sont édités. Ils traduisent un rejet des sauces acides et épicées du moyen âge. Il est
vraisemblable que dans ce contexte, les techniques de rafraîchissement du levain évoluent
afin de diminuer l'acidité du pain.
Développement des petits pains de luxe sans doute pour contourner la rigueur de la taxation
du pain ordinaire, mais aussi pour répondre à une nouvelle demande, la vente de pains
fantaisie progresse nettement à Paris. En période de cherté on interdit aux boulangers de
les exposer en boutique afin de ne pas provoquer le peuple qui lui ne peut s'offrir que des
pains nettement moins raffinés.
1666 : la levure de bière au
banc des accusés.
Ce procès témoigne de la progression depuis un siècle de l'emploi de la levure de bière. Après bien des polémiques et des plaidoiries de médecins, citant leurs confrères grecs de l'antiquité, la levure de bière sera autorisée sous certaines conditions de proximité des brasseries, car cette levure se conservait très mal.
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1662 : les blés du roi évitent la famine.
Les récoltes des dernières décennies du 17ème siècle sont catastrophiques. Dans les campagnes, des pseudo - pains de glands, de racines de fougères, de farine de lentilles
sont consommés. Selon certains chroniqueurs, des hommes en sont réduits à brouter de
l'herbe. Des hordes de pauvres affamés affluent vers les villes d'où ils sont repoussés violemment.
A Paris, le roi fait importer des grains d'Italie et de Pologne pour éviter les émeutes. Il fait
même construire des fours dans la cour du Louvre et fait procéder à des distributions de
pain aux parisiens.
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Apparition de farines tamisées sur les marchés.
Alors qu'auparavant le boulanger tamisait lui - même sa farine pendant la seconde moitié du 17ème siècle, certains meuniers commencent à expérimenter une mouture dite à blanc. Les sons gras sont sassés énergiquement, voire repassés sous la meule malgré l'interdiction.
De nouvelles boutiques de boulanger ouvertes sur la rue, mais grillagées, apparaissent sur cette illustration de la fin du 17ème siècle. On remarque les grosses boules 'coiffées' sur les étagères.
1704 : "On ne peut se passer de pain"
Dans son dictionnaire des aliments, Lemery ajoute :
"nous ne mangeons presque rien sans pain, sans lui, la plupart
de nos viandes nous donneraient le dégoût".
Cette citation illustre bien le fait que les Français sont de gros consommateurs de pain. Parmentier confirmera ces propos soixante ans plus tard :
" l'homme ne croit pas être nourri, si l'aliment ne lui est pas présenté sous forme de pain".
1750 : légère progression des rendements céréaliers
Passé le terrible hiver de 1709 qui causera la dernière famine d'ampleur nationale, les rendements progressent légèrement pour atteindre environ 8 à 9 quintaux à l'hectare. Après 1750, le recul des jachères et l'augmentation des emblavures en blé deviendront des préoccupations nationales. Pourtant, la sous-alimentation reste patente, en particulier dans certaines provinces au terroir plus pauvre, car les provinces vivent en autarcie et les grains circulent peu.
1760 : début de la mouture économique.
A la suite d'une disette sévère l'interdiction de "remouture" des sons gros est enfin levée. A Paris, des minotiers innovants élaborent la mouture économique, une mouture progressive avec laquelle les blés sont mieux nettoyés,
les produits de mouture repassés plusieurs fois sous de nouvelles meules. Le tamisage est assuré par des bluteaux plus performants.
On obtient ainsi plus de farine blanche et de meilleure qualité. De plus, on assiste à la
naissances des premières minoteries importantes autour de Paris ( moulin de Corbeil).
Le meunier, qui auparavant avait un rôle effacé, devient marchand de farine.
Des pâtes plus molles et mieux pétries.
Au cours du 18ème siècle, les pâtes à pain sont davantage hydratées et les techniques de pétrissage sont améliorées, en particulier par deux opérations supplémentaires : le "bassinage" et le "battement". Selon Parmentier, il faut donner à la pâte un certain degré de mollesse qui permette à la matière glutineuse de produire son effet,
et à celui qui a pétri, les moyens de bien travailler son pain. Petit à petit la consommation
de pain de pâte ferme et de pain brié décline en région parisienne.
L'ancestrale méthode de panification vivement critiquée.
Selon Malouin et Parmentier, il est rare que l'on fasse du bon pain dans les provinces car on y emploie une ancestrale méthode reposant sur : une pâte ferme, l'emploi d'eau bouillante, de levain en quantité insuffisante, parfois pourri, un pétrissage sans soin,
un enfournement trop précoce ou trop tardif dans un four mal conçu dont la voûte est
trop haute...
En fait d'après ces auteurs, le pain obtenu ressemblait davantage à de la farine
hydratée puis desséchée qu'à du pain...
1770 : grande maîtrise de la
panification au levain à Paris.
La nouvelle tendance consiste à augmenter la dose de levain et à l'utiliser plus jeune. Le travail sur deux et sur trois levains est couramment pratiqué. Parmentier évoque même jusqu'à cinq rafraichis par jour.
Trois méthodes de panification sont évoquées dans les livres de boulangerie du
dix-huitième siècle:
La croûte est à la mode.
Les pains longs de grosse taille sont appréciés et les pains longs amincis par les bouts, apparaissent ainsi qu'un nombre considérable de petits pains. L'usage de chapeler (ôter la croûte), vieux de plusieurs siècles, disparaît. Les boulangers fabriquent même des "croûtes à potage".
Du pain sans sel.
A Paris le pain ordinaire fut longtemps non salé, de façon à ne pas masquer le goût de fruit du pain. Parmentier explique que le sel est rarement utile, jamais indispensable, si les grains utilisés pour faire la farine sont parfaits.
Toutefois les boulangers utilisaient environ 0,5 % de sel, lorsque les farines sont avariées, chauffées ou germées, car il soutient la pâte. Puis l'incorporation de sel deviendra systématique.
Savants et technologues.
A partir de 1750, beaucoup de savants commencent à faire des études en rapport avec la technologie meunière et boulangère.
1780: une école de boulangerie à Paris
Après avoir publié en 1778 un livre remarquable 'Le parfait Boulanger', PARMENTIER s'associe à CADET de VAUX pour ouvrir une école gratuite de boulangerie à Paris. TILLET y conduira des expériences sur la perte de poids des pains pendant la cuisson.
Essais de chauffage au charbon.
Compte tenu de l'élévation du prix du bois, des essais de chauffage de four avec du charbon ou de la houille sont effectués. A Paris, dans de grandes boulangeries militaires, on teste les premiers ouras (conduits au-dessus du four qui permettent d'animer la combustion du bois et de faire baisser la température du four sans ouvrir la porte). Des prototypes de pétrins mécaniques, actionnés à bras, sont testés en France mais aussi en Italie et en Autriche.
Boulanger : un métier dangereux.
Le prix du pain basé sur le prix du blé connaît de fortes hausses, en particulier lorsque les récoltes sont déficitaires. Certaines années le coût du pain représente 50%, voire plus, du budget des ménages. Les boulangers sont suspectés de profiter de la hausse des prix, ils sont très impopulaires. Leurs magasins, pourtant solidement grillagés, sont fréquemment assiégés, pillés au plus fort des pénuries alimentaires.
1751 : le peuple menace de brûler toutes les boulangeries
si le prix du pain ne baisse pas.
1774 : des émeutes de subsistances
éclatent dans toute la France. On parlera de "guerre des farines".
La révolution agricole va progressivement faire disparaître les famines. Les méthodes de fermentation évoluent et, parallèlement, les méthodes de pétrissage. C'est l'époque des premiers essais de mécanisation, encore timides : le métier de boulanger est encore très physique.
Le 21 octobre 1789, le boulanger François sera pendu haut et court par une foule affamée, excédée de manquer de pain. Quelques années plus tard les boulangers soupçonnés de spéculer sur les blés seront guillotinés.
1793 : voeu pour un pain de l'égalité.
" La richesse et la pauvreté devant également disparaître du régime de l'égalité, il ne sera plus composé un pain de fleur de
farine pour le riche et un pain de son pour le pauvre. Tous les boulangers seront tenus,
sous peine d'incarcération, de faire une seule sorte de pain : le Pain Égalité".
Le peuple attend un pain blanc, mais compte tenu des faibles récoltes, le pain de l'égalité
sera élaboré à partir d'une farine extraite à environ 93%.
Des cartes de pain sont instituées ; la période révolutionnaire n'échappe pas aux problèmes d'approvisionnement. Certains clients attendent toute la nuit l'ouverture hypothétique des boulangeries. D'aucuns prétendent que les riches stockent d'importantes quantités de pain
qui finissent par moisir.
1793 : abolition de la banalité des moulins et des fours.
Avec la reprise du commerce vers 1796, de nombreux petits moulins vont être construits,
les corporations seront abolies, le commerce de la boulangerie sera libéré un temps, bien
que dès juillet 1791, une taxe sur le pain (soit disant provisoire) soit établie. Les fours
banaux seront rachetés par leur fournier ou deviendront municipaux, la construction des
fours à pain sera libre. Dans les régions céréalières, les toutes premières boulangeries
rurales verront le jour.
1800 : boulangeries militaires itinérantes de napoléon.
Les armées napoléoniennes disposent de boulangeries itinérantes perfectionnées. Les
fours mobiles métalliques permettent la cuisson de pain pour les soldats, qui propageront
ainsi, un pain relativement blanc à travers toute l'Europe.
1801 : stricte taxation.
L'administration napoléonienne va réglementer de façon drastique le commerce et le prix
du pain. Elle réduira le nombre des boulangeries, imposera des réserves de farines
stockées dans des greniers publics. Enfin, elle essaiera, sans succès, d'enfermer le pain
dans deux catégories officielles. Les boulangers réagiront en proposant toute une gamme
de pains fantaisie très attractifs.